LCEN
L’ espace public
Mais pour ces Lumières il n’est rien requis d’autre que la liberté ; et la plus inoffensive parmi tout ce qu’on nomme liberté, à savoir celle de faire un usage public de sa raison sous tous les rapports. Or j’entends de tous côtés cet appel : ne raisonnez pas ! L’officier dit : ne raisonnez pas mais faites les manoeuvres ! Le conseiller au département du fisc dit : ne raisonnez pas mais payez ! Le prêtre : ne raisonnez pas mais croyez ! (Un seul maître au monde dit raisonnez autant que vous voulez et sur ce que vous voulez, mais obéissez !) Ici il y a partout limitation de la liberté.
Mais quelle limitation fait obstacle aux Lumières ? Quelle autre ne le fait pas mais leur est au contraire favorable ? — Je réponds : l’usage public de sa raison doit toujours être libre et il est seul à pouvoir apporter les Lumières parmi les hommes … Kant, Qu’est-ce que les Lumières, G.F. Flammarion.
Dans l’Espace Public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise (1962), Jürgen Habermas analyse la constitution historique d’un espace de discussion régi par le principe de publicité, par opposition à la logique de fonctionnement de l’autorité publique, dominée par le secret d’Etat. L’espace public est donc caractérisé par la présence de « personnes privées faisant un usage public de leur raison ». Il trouve son origine au XVIIIe siècle, dans le surgissement des cercles bourgeois dans les villes d’Allemagne, d’Angleterre et de France – salons, cafés – et le développement des moyens de communication – presse. L’opinion publique devient ainsi plus qu’un moyen de contrecarrer l’arbitraire du pouvoir d’Etat, une véritable source normative de la politique. Cependant, l’espace public trouve son déclin avec la défaite de la raison critique (telle qu’elle avait été conçue par Emmanuel Kant, qui précisait sa portée politique dans Qu’est-ce que Les Lumières ?, 1798) et l’avènement d’une publicité régie par la manipulation… L’espace public (Habermas), Antoine Lousao.
La raison critique n’est-elle pas réapparue avec les blogs des particuliers ? Cette résurgence des Lumières n’est-elle pas menacée par le système vertical* de la persuasion-manipulation (politiques-communicants : émetteur de messages, médias de masse : relais des messages formatés par les communicants, citoyens limités à un état de réception et non d’émission de messages) ? Les futurs gouvernants (présidentielle 2012) vont-ils parachever les tentatives éhonteusement sournoises d’entraver le système horizontal de communication via les blogs ?
On fonctionne de manière horizontale, on n’attends rien d’un leader charismatique, on n’attends rien du système vertical.
L’espace public
Jürgen Habermas
Payot (sept 1988).
Le principe de Publicité est le principe de contrôle que le public bourgeois a opposé au pouvoir pour mettre un terme à la pratique du secret propre à l’Etat absolu. Créateur d’une véritable sphère publique, ce principe circonscrit, à partir du XVIlIe siècle, un nouvel espace politique où tente de s’effectuer une médiation entre la société et l’État, sous la forme d’une «opinion publique» qui vise à transformer la nature de la domination. A l’aide d’un ensemble institutionnel déterminé, qui permet le développement de discussions publiques ayant pour objet des questions d’intérêt général, il s’agit de soumettre l’autorité politique au tribunal d’une critique rationnelle. Le modèle libéral de la sphère publique, outre qu’il repose sur la répression de l’opinion publique plébéienne, se révèle inadéquat pour rendre compte de l’espace politique des démocraties de masse, régies par un Etat social. Au terme d’un processus complexe d’interpénétration des domaines privé et public, on assiste à une manipulation de la Publicité par des groupes d’intérêts et à une reféodalisation de la sphère publique. Au sein de l’État social, la sphère publique politique est caractérisée par un singulier désamorçage de ses fonctions critiques. La Publicité d’aujourd’hui se contente d’accumuler les comportements réponses dictés par un assentiment passif. Au départ, principe de la critique, la Publicité a été subvertie en principe d’intégration. A l’ère de la Publicité manipulée, ce n’est plus l’opinion publique qui est motrice, mais un consensus fabriqué prêt à l’acclamation. En 1990, J. Habermas propose une triple révision : remise en question du concept de totalité, appréciation modifiée de la capacité critique du public, nouvelle interrogation quant à la possibilité d’un espace public. Une conception discursive de la démocratie le conduit à envisager un dédoublement de l’espace public tel que le pouvoir communicationnel puisse influencer le pouvoir administratif et s’opposer à la manipulation par les médias.
* système vertical (anti-démocratique) utilisé de manière ultra-dominante (et asphyxiante), de manière "royaliste-absolutiste", par toutes les structures de pouvoir : économiques, politiques (le parti politique), syndicales (slogans imposés dans les manifs, "vous là bas, mettez vous derrière la bannière"), associatives ("le bureau a décidé que …"), …
Un décret pour filtrer le net et faire supprimer des sites
Filtrage d’internet par décision administrative
Un projet de décret donnerait à plusieurs ministères (défense, justice, intérieur, économie, consommation, santé et économie numérique) et à l’ANSSI (agence nationale de la sécurité des systèmes d’information) le pouvoir d’ordonner des mesures de blocage et de filtrage sur Internet sans passer par le juge judiciaire.
Un billet intéressant sur le blog "Les mots ont un sens" à propos de ce filtrage du net par le pouvoir en place, via un décret (projet de décret notifié au CNN -Conseil national du numérique- le 9 juin dernier), décret reposant sur les articles de la LCEN (Loi pour la confiance dans l’économie numérique), article 18 (Titre II : Du commerce électronique) modifié en 2007 qui autorise :
"l’autorité administrative" (c’est à dire le gouvernement) à restreindre "le libre exercice de leur activité" aux personnes, "lorsqu’il est porté atteinte ou qu’il existe un risque sérieux et grave d’atteinte au maintien de l’ordre et de la sécurité publics, à la protection des mineurs, à la protection de la santé publique, à la préservation des intérêts de la défense nationale ou à la protection des personnes physiques qui sont des consommateurs ou des investisseurs"
L’article 14 de la même loi précise ce qu’est le "commerce électronique", il s’agit en fait de tous les sites sur le net , y compris les blogs des particuliers (les supports d’expression non encadrés par le système, les supports qui parlent de choses que la presse locale n’aborde jamais et que la grande presse nationale n’aborde pas non plus, exemple : si vous trouvez un journal qui traite de la contradiction qu’il y a, à vouloir défendre les droits des créateurs tout en offrant un label "offre légale" à un microstock du "libre de droits" : mettez moi au courant!).
Avec un éclairage sur le site PC impact :
le projet de décret pour généraliser filtrage et blocage
Le texte du Projet de décret (pris pour l’application de l’art 18 de la LCEN)
sur le site owni.fr (Le propriétaire du site est membre de la CNN).
17 juin 2011. Le Décret LCEN fustigé par le CNN (Conseil National du Numérique : commission composée exclusivement d’industriels du numérique directement concernés par le décret).
Extraits de l’Avis du CNN relatif au projet de décret pris pour l’application de l’article 18 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique :
Le CNN formule les recommandations suivantes… que toute mesure de blocage imposée aux fournisseurs d’accès à l’internet ne puisse intervenir qu’au terme d’un débat contradictoire sous l’appréciation et le contrôle préalable du juge, et que toute mesure de blocage mise en oeuvre par les fournisseursd’accès à l’internet ne puisse être instituée que par voie législative.
la lutte contre la cybercriminalité doit s’inscrire dans un certain nombre de principes … elle doit s’inscrire dans le respect des principes constitutionnels largement reconnus et en particulier, la liberté du commerce et de l’industrie et surtout la liberté d’expression et de communication impliquant celle de recevoir et d’émettre des informations.
… le périmètre visé dans la loi et le décret d’application demeure large et n’est pas susceptible de constituer des contenus manifestement illicites.
De manière générale, il est possible d’affirmer que l’article 14 LCEN vise globalement tous les acteurs de l’internet.
le Conseil national du numérique recommande que le décret retienne le terme « d’auteur du contenu » qui seul doit être le premier responsable et le premier destinataire de toute injonction administrative.
la Cour d’appel de Paris avait indiqué, dans un arrêt du 3 mars 2005, que « l’intervention d’une mesure qui tend à restreindre le droit d’expression, pour lequel la liberté est la règle, même si elle peut paraître légitime, en raison du dommage causé, ne saurait justifier qu’il soit dérogé au principe fondamental de la contradiction .
Art 4 du projet de décret …Il s‘agit donc, par l’intermédiaire d’un décret, de l’octroi à l’autorité administrative d’un pouvoir de blocage d’un contenu internet et ceci sans recours préalable au juge.
Par une décision en date du 10 juin 2009, le Conseil constitutionnel a rappelé que toutes mesures susceptibles d’aboutir à un blocage de l’accès à l’internet se devaient d’être conciliées avec « l’exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, écrire et imprimer ». En effet, « la liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés ; que les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi …
En conséquence, le CNN recommande que toute mesure de blocage imposée aux fournisseurs d’accès à l’internet ne puisse intervenir que sous l’appréciation et le contrôle préalable du juge…
Pour mémoire, le Conseil Constitutionnel avait expressément souligné que : « la liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés ; (…) les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnés à l’objectif poursuivi .
L’avis du CNN dans son intégralité
23 juin 2011 : revoir la copie !
Un nouveau décret sur le filtrage
Hadopi, licence globale, filtre, blocage… Les propositions numériques du PS et d’Aubry
7 juillet 2011 :
Une Haute Autorité du Net pour le blocage des sites en France ?
13 juillet 2011 :
Il est interdit d’interdire le net
Il nous est intolérable qu’une pensée erronée puisse exister quelque part dans le monde, quelque secrète et impuissante qu’elle puisse être”. Georges Orwell, “1984″, Folio. Nineteen eighty four, roman écrit en 1948.
Il nous est intolérable que des particuliers puissent s’exprimer librement sur le net via des blogs non encadrés par des petits chefs bien pensants. Monsieur Cyber-Ubu.
… il y a deux façons de briser la liberté de conscience et la liberté de penser : la première consiste à supprimer politiquement la liberté par la violence, et bien sûr la menace terroriste fait partie de cette entreprise, mais la seconde consiste à détruire socialement et la conscience et l’acte même de penser, par une médiocrité sournoisement imposée…
http://jeanbauberotlaicite.blogspirit.com/archive/2005/04/30/citoyennete_et_laicite.html